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26.03.2019Anne-Solène Hardouin, Jean-Philippe Minaud, Jérome Michel

Newsletter Droit public – Mars 2019

Commande publique

En application de l’article 75 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, la procédure de passation d’un marché de partenariat ne peut être mise en œuvre (par préférence à la procédure de passation d’un marché public classique) que si l’acheteur démontre que le recours à ce type de marché « présente un bilan plus favorable, notamment sur le plan financier, que celui des autres modes de réalisation du projet ».

Le tribunal administratif de Marseille apporte une rare illustration du contrôle du juge sur les éléments de preuve par l’acheteur de ce « bilan plus favorable ».

En l’espèce, la ville de Marseille a effectué une évaluation préalable du mode de réalisation du projet et une étude de soutenabilité financière.

Le tribunal administratif reprend point par point les critères retenus pour établir le bilan plus favorable du recours à un marché de partenariat, et démontre qu’aucun de ses critères ne permet valablement de démontrer le caractère plus favorable de ce bilan conformément à l’article 75 de l’ordonnance du 23 juillet 2015.

Ce jugement permet d’illustrer le contrôle très poussé et factuel du juge administratif sur le critère d’un bilan plus favorable pour recourir au marché de partenariat.

  • Un vice d’une particulière gravité doit conduire à la suspension d’une mesure de résiliation dans le cadre d’un référé-suspension (CE, 25 janvier 2019, n° 424846)

Pour rappel, le conseil d’Etat, dans sa décision Béziers II [1], a ouvert au titulaire d’un contrat administratif un recours de plein contentieux à l’encontre d’une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles. Il offre aussi la possibilité d’assortir ce recours au fond d’un recours en référé tendant à la suspension de la mesure de résiliation.

C’est dans ce cadre que la société Uniparc Cannes s’est pourvue en cassation contre le rejet, par le juge des référés du tribunal administratif de Nice, de sa demande de suspension de la décision du maire de Cannes visant à résilier la convention de délégation de service public portant sur divers parcs de stationnement de la commune de Cannes dont elle était titulaire.

Le conseil d’État rappelle qu’il appartient au juge des référés de « prendre en compte, pour déterminer si un moyen est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la validité de la mesure de résiliation litigieuse, d’apprécier si, en l’état de l’instruction, les vices invoqués paraissent d’une gravité suffisante pour conduire à la reprise des relations contractuelles et non à la seule indemnisation du préjudice résultant, pour le requérant, de la résiliation » (considérant 5).

En l’espèce, il annule l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice qui, après avoir relevé l’existence de vices affectant la décision de résiliation, a estimé que la reprise provisoire des relations contractuelles serait, en tout état de cause, de nature à porter une atteinte excessive à l’intérêt général.

Le conseil d’État considère, en effet, que le juge des référés a commis une erreur de droit « en s’abstenant de rechercher si les vices invoqués par la société Uniparc Cannes à l’encontre de la mesure de résiliation étaient d’une gravité suffisante pour conduire à la reprise des relations contractuelles » dès lors que « l’existence d’un motif d’intérêt général s’opposant à la reprise des relations contractuelles ne pouvant être appréciée indépendamment de la gravité des vices affectant la mesure de résiliation » (considérant 6) [2].

[1] CE, sect., 21 mars 2011, n° 304806, Commune de Béziers (dit « Béziers II »)

[2] Réglant l’affaire au fond, la haute juridiction administrative va ensuite juger que les vices invoqués par la société Uniparc Cannes ne sont pas de nature à faire naitre un doute sérieux quant à la légalité de la décision de résiliation.

  • Moment où peut être exigée la preuve qu’un candidat ne se trouve pas dans un cas d’interdiction de soumissionner (CE, 25 janvier 2019, n° 421844, cons. 4) : 

Les preuves qu’un candidat ne se trouve pas dans l’un des cas d’interdiction de soumissionner listées à l’article 45 du décret n° 2016-360 n’ont pas à être demandées lors de la réception des candidatures mais seulement au stade de l’attribution, sauf lorsque l’acheteur décide de limiter le nombre des candidats admis à négocier.

Les décisions qui suspendent l’exécution d’un contrat litigieux en application de l’article L. 521-1 du code de justice administrative sont assez rares [3], tout comme les référés de ce type à l’initiative de tiers autres que les concurrents évincés.

La décision Communauté intercommunale Réunion Est (CIREST) du conseil d’État du 10 octobre 2018 est une rare illustration d’une suspension sur recours d’un autre tiers que le concurrent évincé.

D’une part, le référé-suspension est engagé à l’initiative de la CIREST, membre du syndicat mixte de traitement des déchets du nord et de l’est (SYDNE) qui a conclu, en qualité d’acheteur, le contrat litigieux.

D’autre part, le conseil d’État a considéré que :

– la condition d’urgence est remplie compte-tenu notamment du montant du marché qui « engage une part important des ressources » du SYDNE et des conséquences indemnitaires graves d’une annulation ou d’une résiliation, et

–  il y a un doute sur la légalité de la décision du fait (i) de sa longue durée (considérant 12) et (ii) des justifications non fondées pour recourir à une procédure sans publicité ni mise en concurrence.

[3] Les décisions récentes (CE, 18 septembre 2017, n° 408894 ; CE, 19 janvier 2015, n° 385634) rejettent les demandes de suspension pour défaut d’urgence ou de doute sérieux quant à la légalité.

Si le principe d’une indemnisation du titulaire d’un contrat administratif en cas de résiliation irrégulière (ou pour motif d’intérêt général [4]) ne pose aucun problème, il en va autrement des modalités de calcul de cette indemnisation.

En effet, puisque, en application du principe d’interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités celles-ci ne peuvent jamais être condamnées à payer une somme qu’elles ne doivent pas [5], il appartient au juge de n’indemniser que le préjudice certain lié au manque à gagner découlant de cette résiliation. Ce calcul peut se révéler ardu dans l’hypothèse d’un marché à bons de commande.

Dans sa décision société du docteur B…A. du 10 octobre 2018, le conseil d’État a considéré, s’agissant d’un marché à bons de commande avec seulement un minimum, que « le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu’en ce qu’il porte sur ce minimum garanti » (considérant 3).

Cette décision ne fait qu’entériner la jurisprudence des juridictions du fond qui avaient déjà eu l’occasion de se prononcer sur ce point.

Le conseil d’État a eu l’occasion de réaffirmer tout récemment cette jurisprudence dans une décision société CAPCLIM du 27 février 2019, par laquelle il confirme que, pour évaluer le manque à gagner d’un marché à bons de commande avec un montant minimum, il faut se référer à ce montant minimum (considérant 8).

Il l’affine aussi toutefois en admettant que le manque à gagner peut se calculer sur la base de ce montant minimum auquel est « appliqué le taux de marge nette de la société CAPCLIM sur des marchés publics comparables ».

[4] CE, 31 juillet 1996, n° 126594, Société des téléphériques du massif du Mont-Blanc

[5] v. pour une application en matière d’indemnisation : CE, 19 mars 1971, n° 79962, Mergui

  • La seule présence d’une « clause Molière » ne suffit pas à créer un doute sérieux quant à la légalité du contrat (CE, 8 février 2019, n° 420296, cons. 7)

Une instruction interministérielle du 27 avril 2017 précisait qu’ « imposer de façon systématique la maitrise de la langue française dans l’exécution d’un marché public ou d’un contrat de concession constitue une violation du principe de non-discrimination […] » et invitait donc au déféré préfectoral pour les contrats contenant ce type de clause.

C’est dans ce cadre que le conseil d’État a été amené à se prononcer par sa décision Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP), en retenant que le français avait seulement vocation à régir les relations entre les parties, rien n’imposant « le principe de l’usage de la langue française par les personnels de l’usine d’épuration Seine Amont » ni «  l’usage ou la maîtrise de la langue française par les travailleurs étrangers susceptibles d’intervenir ». En conséquence et dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des documents de la consultation avec le Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne doit être écarté. 

  • Conséquences financières pour l’acheteur de la signature d’un marché en méconnaissance de la suspension imposé par l’introduction d’un référé précontractuel (CE, 25 janvier 2019, n° 423159) 

Par principe, en application de l’article L. 551-4 du code de justice administrative [6], l’introduction d’un référé précontractuel entraine l’obligation pour l’acheteur de suspendre la signature du contrat [7].

La signature en méconnaissance de cette obligation de suspension rend le référé précontractuel irrecevable [8] mais ouvre la voie au référé contractuel dans lequel le juge peut alors, en application de l’article L. 551-20 du code de de justice administrative [9], « prononcer la nullité du contrat, le résilier, en réduire la durée ou imposer une pénalité financière ».

Le conseil d’État, dans sa décision Société Hospitalière d’assurance mutuelle (SHAM), considère que le juge, pour déterminer la sanction à prononcer en application de l’article L. 551-20 du code de justice administrative, doit « apprécier l’ensemble des circonstances de l’espèce, en prenant notamment en compte la gravité du manquement commis, son caractère plus ou moins délibéré, la plus ou moins grande capacité du pouvoir adjudicateur à connaître et à mettre en œuvre ses obligations ainsi que la nature et les caractéristiques du contrat » (considérant 12).

En l’espèce, parce que l’acheteur était « clairement informé de l’existence d’un référé précontractuel, qui lui avait été notifié », le conseil d’État opte pour une pénalité financière à hauteur de 20 000 euros.

[6] Articles 4 et 8 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 pour les recours applicables aux contrats de droit privé relevant de la commande publique

[7] v. pour illustration : CE, 20 juin 2018, n° 417686

[8] CE, 3 novembre 1995, CCI de Tarbes et des Hautes-Pyrénées, n° 157304

[9] Article 18 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 pour les recours applicables aux contrats de droit privé relevant de la commande publique

Domanialité publique

L’article L. 3112-1 du CG3P précise que « Les biens des personnes publiques […] qui relèvent de leur domaine public, peuvent être cédés à l’amiable, sans déclassement préalable, entre ces personnes publiques, lorsqu’ils sont destinés à l’exercice des compétences de la personne publique qui les acquiert et relèveront de son domaine public ».

Dans son arrêt Syndicat Intercommunal à vocation multiple (SIVOM), la cour administrative d’appel de Versailles considère que seul l’acte authentique (en la forme administrative ou notarié) entérinant la cession est créateur de droit et peut donc être contesté.

Elle exclut ainsi la possibilité de soulever des moyens à l’encontre de la délibération autorisant la signature de l’acte de cession car celle-ci « n’a créé par elle-même aucun droit à la cession amiable des terrains appartenant au domaine public de la commune » (considérant 3).

Contentieux administratif

L’article R. 421-3 du code de justice administrative prévoyait, dans sa rédaction initiale, qu’un requérant n’était forclos « qu’après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d’une décision expresse de rejet : 1° En matière de plein contentieux […] ».

Ainsi tout recours contre une décision implicite de rejet, en matière de plein contentieux, n’était enserré dans aucun délai.

L’article 10 du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 (dit « décret JADE », entré en vigueur le 1er janvier 2017) est venu supprimer cet alinéa relatif au plein contentieux, soumettant ainsi au délai de recours de deux mois de l’article R. 421-1 du code de justice administrative les contentieux à l’encontre des décisions implicites de rejet en plein contentieux.

En application de l’article 35 dudit décret, cette modification est applicable aux requêtes enregistrées à compter du 1er janvier 2017. Aussi, dans son avis du 30 janvier 2019, le conseil d’Etat est-il venu préciser les modalités temporelles d’application de ces nouvelles dispositions du décret JADE :

(i) Il confirme que les décisions implicites de rejet nées avant le 1er janvier 2017 n’ont pas pu se voir imposer rétroactivement le délai de recours de deux mois de l’article R. 421‑1 du code de justice administrative qui est désormais applicable.

Ainsi, un recours enregistré le 1er décembre 2016 contre une décision implicite de rejet née le 15 août 2016 ne peut être considéré comme tardif dès lors qu’aucun délai n’enserrait alors le recours contentieux à l’encontre de ce type de décision.

(ii) Toutefois, l’article 35 du décret JADE a entendu appliquer aux situations non encore constituées au 1er janvier 2017 la suppression de l’exception relative au plein contentieux de l’article R. 421-3 du code de justice administrative.

En conséquence, pour une décision implicite de rejet née le 15 août 2016, un recours contentieux ne pouvait être engagé que jusqu’au 1er mars 2017 (soit deux mois après l’entrée en vigueur au 1er janvier 2017 du décret JADE) à condition (i) qu’un accusé de réception de la demande préalable ait été émis – conformément à l’article L. 112-6 du code des relations entre le public et l’administration – et (ii) qu’il ait été de nature à faire courir le délai de recours contentieux (notamment en comportant les mentions des délais et voies de recours prévues à l’article R. 112-5 du même code). 

Le décret du 7 février 2019 entérine la suppression de dispositions devenues obsolètes [10] et apporte des clarifications rédactionnelles de certaines dispositions.

Il modifie, en outre, la partie réglementaire du code de justice administrative notamment pour :

–  permettre au conseil d’État et aux cours administratives d’appel de rejeter directement des requêtes relevant de la compétence d’une autre juridiction en se fondant sur le caractère manifestement irrecevable de la demande de première instance (article 17 du décret modifiant l’article R. 351-4 du code de justice administrative), ou encore

– permettre au juge d’appel de statuer en juge unique sur une demande de sursis à exécution d’une décision juridictionnelle (article 12 du décret ajoutant un alinéa complémentaire à l’article R. 222-25 du code de justice administrative).

[10] Par exemple, suppression de l’article R. 237-2 du code de justice administrative imposant l’avis du conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel pour la participation d’un magistrat à des fonctions autres que celles visées à l’article R. 231-1 du code de justice administrative

L’article L. 3131-1 du code général des collectivités territoriales précise que :

« Les actes pris par les autorités départementales sont exécutoires de plein droit dès qu’il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu’à leur transmission au représentant de l’Etat dans le département ».

Dans sa décision Ligue des droits de l’homme du 3 décembre 2018, le conseil d’État à eu l’occasion d’appliquer aux actes des autorités départementales sa jurisprudence du 3 mars 1995 [11], selon laquelle le départ du délai de recours contentieux est déconnecté des modalités d’entrée en vigueur de l’acte dès lors que, quelle que soit sa date d’entrée en vigueur, le délai de recours contentieux ne court qu’à compter de sa publication.

En effet, alors même qu’un acte d’un département entrerait en vigueur dès son affichage à l’hôtel du département, conformément à l’article L. 3131-1 précité, cette modalité « ne suffit pas à faire courir le délai de recours contentieux contre cet acte », selon la haute juridiction administrative (considérant 4).

Le conseil d’État considère ainsi que «  sont en revanche de nature à faire courir le délai [de recours contentieux] soit la publication de l’acte au recueil des actes administratifs du département […], soit sa publication, en complément de l’affichage à l’hôtel du département, dans son intégralité sous forme électronique sur le site internet du département, dans des conditions garantissant sa fiabilité et sa date de publication ».

[11] CE, 3 mars 1995, n° 162657

 

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Jérôme Michel – Avocat associé (jmichel@franklin-paris.com)

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