Pertes d’exploitation sans dommages : la nécessaire revue des clauses contractuelles – L’Argus de l’assurance du 23 juillet 2020
Tribune de Serge Durox, associé, et Violaine Brille, Of Counsel, de notre équipe Droit & Conformité / Banque – Services d’investissement – Assurance, publiée dans l’Argus de l’assurance du 23 juillet 2020.
Axa, Crédit Mutuel, Albingia : c’est au juge du fond d’interpréter les clauses de garanties pertes d’exploitation sans dommages. A l’aune de la crise de la Covid-19, une revue des clauses des contrats apparaît incontournable.
La crise sanitaire inédite que nous traversons caractérisée notamment par le confinement général de la population a eu pour effet immédiat d’impacter très rapidement et significativement le chiffre d’affaires de certains secteurs d’activité voire pour certains d’engendrer une perte totale de revenus.
Les tribunaux de commerce saisis par les assurés
Une question nouvelle est apparue : une pandémie constitue-t-elle un risque couvert par les polices d’assurance souscrites? Étonnamment cette question complexe a pu être traitée par les Tribunaux de commerce sous la forme des référés, notamment le Tribunal de commerce de Paris dont la décision du 12 mai 2020 a été établie sur des bases pour le moins fragiles qui n’auraient sans doute pas résisté à un appel, et le Tribunal de commerce de Nanterre qui le 17 juillet a rendu une ordonnance sanctionnant l’entreprise d’assurance concernée à payer 450 000 euros de provision sur le fondement d’une rédaction considérée comme claire de la police d’assurance. On relève par ailleurs que certains Tribunaux de commerce, toujours sous la formation des référés, se sont légitimement déclarés incompétents pour interpréter des clauses contractuelles ambiguës.
Vu l’ampleur des montants de pertes annoncées, la couverture du risque de pandémie est rapidement devenu un sujet politique car pouvant mettre à mal la stabilité et la solidité des organismes d’assurance notamment au regard des exigences en fonds propres issues de la Directive Solvabilité II calculées au regard des risques
supposés couverts.
Pour rester sur le plan contractuel, hors régime d’exception tel que celui des catastrophes naturelles dont l’opportunité et la faisabilité technique est examinée par un Groupe de travail mis en place par le ministère de l’économie et des finances, les clauses contractuelles seront déterminantes sur la prise en charge ou non
des pertes d’exploitation immatérielles.
Seul le juge du fond peut interpréter le contrat
C’est dans ce contexte que l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) est intervenue et a publié le 22 juin 2020 les résultats d’une consultation réalisée auprès des assureurs constituant un échantillon représentatif de l’essentiel des garanties pertes d’exploitation souscrites en France et qui concerne environ
une entreprise sur deux. En synthèse, sur la base de 220 contrats collectés, seuls 2.6 % des contrats couvrent clairement l’évènement « Covid-19 » et 4.1% ont une couverture incertaine : dans ce dernier cas, l’ACPR rappelle que seuls les juges du fond seront à même de procéder à une interprétation du contrat pour lever
toute incertitude.
L’ACPR souligne en premier lieu l’importance de la fourniture par les professionnels du secteur d’une réponse claire et adéquate aux assurés quant à leur demande d’information portant sur l’étendue de la garantie, en particulier dans le cadre du traitement de leur réclamation.
L’ACPR précise par ailleurs que les gestes commerciaux de nature diverses (report des échéances de paiement sans suspension de contrats ou annulations de primes qui peuvent pour certains assureurs se monter à plusieurs millions d’euros) ne peuvent conduire à priver les assurés de leur droit de recours en cas de contestation de la portée des clauses contractuelles. Surtout, l’ACPR recommande fortement aux professionnels d’opérer une revue de la rédaction des clauses contractuelles « ambiguës ».
Réécrire les clauses pour les clarifier
Cette revue devra s’effectuer à l’aune de certaines règles d’interprétation des contrats posées par le Code Civil et en particulier des suivantes (i) Interpretatio cessat in claris : on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation (article 1192 Code Civil), (ii) le contrat d’adhésion s’interprète en cas de
doute contre celui qui l’a proposé (article 1190 Code Civil), (iii) toutes les clauses d’un contrat s’interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l’acte tout entier (article 1189 Code Civil), et enfin (iv) les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi (article 1104 du Code Civil), règle d’ordre public par excellence.
Pour se mettre en ordre de marche les professionnels du secteur devraient à notre sens développer une approche en plusieurs étapes et principalement : 1) réaliser un audit ou cartographie exhaustive des typologies de clauses/ contrats existants, en étroite coordination avec les réseaux distributeurs dans la mesure où parfois
ils ont pu ajuster certaine rédaction de clauses, 2) une réflexion harmonisée sur les couvertures envisagées et leurs modalités de déclenchement permettant une rédaction claire et non trompeuse des clauses concernées, et 3) les modalités de mise en oeuvre d’éventuelles campagnes de nouvelles souscriptions de contrat.
La robustesse des mesures mises en place par les professionnels du secteur en coordination avec les réseaux de distribution sera incontestablement de nature à contribuer à la transparence attendue par les professionnels.