Commande publique
A compter du 1er janvier 2022 et jusqu’au 31 décembre 2023, les seuils pour les procédures formalisées sont réhaussés de 6% par rapport à 2020-2021, et fixés comme suit :
- 5 382 000 € HT pour les marchés de travaux et pour les contrats de concessions passés par les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices. Ce seuil concerne également les marchés de travaux passés dans le domaine de la défense ou de la sécurité.
- 140 000 € HT pour les marchés de fournitures et de services des autorités publiques centrales ;
- 215 000 € HT pour les marchés de fournitures et de services des autres pouvoirs adjudicateurs et pour les marchés publics de certaines fournitures des autorités publiques centrales opérant dans le domaine de la défense ;
- 431 000 € HT pour les marchés de fournitures et de services des entités adjudicatrices et marchés de services de défense ou de sécurité.
L’avis a été pris à la suite des quatre règlements européens 2021/1950, 2021/1951, 2021/1951, 2021/1953, et inséré à l’annexe 2 du code de la commande publique.
Nous précisons que les seuils pour les procédures adaptées et de gré à gré restent inchangés.
La circulaire du 30 mars 2022 prise par le premier ministre rappelle les conditions dans lesquelles les acheteurs publics peuvent adapter leurs contrats, en raison de l’augmentation des prix de certaines matières premières comme le gaz et le pétrole provoquée par la guerre en Ukraine.
Nous rappelons que la direction des affaires juridiques du ministère de l’économie avait également publié une fiche technique sur le sujet, et mise à jour le 18 février 2022, en raison de la hausse des prix provoquée par l’épidémie causée par le Covid-19.
Les solutions recommandées aux acheteurs par les pouvoirs publics pour répondre aux difficultés d’exécution des contrats de la commande publiques en raison du contexte actuel peuvent être résumées comme suit :
- Les acheteurs sont invités à ne pas appliquer les pénalités de retard ou l’exécution forcée en cas de violation des délais de livraison ou d’exécution par leur cocontractant ;
- La théorie jurisprudentielle de l’imprévision est un outil à la disposition des acheteurs pour indemniser le cocontractant lorsque la hausse des prix aurait provoqué un bouleversement de l’économie du contrat pour le cocontractant ;
- L’article R. 2194-5 du code de la commande publique relatif à la modification des marchés publics en raison de circonstances imprévues permet quant à lui de modifier le périmètre des prestations ou d’adapter les conditions d’exécutions du marché par voie d’avenant ;
- Pour les contrats de droit privé, notamment passés par des entités adjudicatrices, il est rappelé que l’article 1195 du code civil permet une renégociation des conditions d’exécution en cas de bouleversement de l’économie du contrat, et les contractants sont invités à renoncer à appliquer une clause éventuelle qui en aurait écarté l’application ;
- Les acheteurs sont incités à insérer dans la rédaction de leurs futurs marchés une clause de révision des prix conformément aux dispositions de l’article R. 2112-13 du code de la commande publique.
Concernant la modification du prix marché en raison des circonstances imprévues, fondée sur l’article R. 2194-5 du code de la commande publique, cette circulaire n°6338-SG du 30 mars 2022, au titre du caractère intangible du prix, déconseille les modifications « sèches » en indiquant que la modification du prix doit être liée à une modification du périmètre, des spécifications (comme la substitution d’un matériau par un autre) ou des conditions du contrat.
Toutefois, les praticiens s’interrogent sur le mode opératoire de l’article R. 2194-5 précité, en raison de l’urgence et des difficultés d’approvisionnement de leurs prestataires. Par ailleurs, ils s’interrogent sur la conciliation de cet article avec la théorie de l’imprévision qui permet elle aussi une modification indirecte et temporaire du prix par la voie de l’indemnisation.
Lors d’une conférence organisée par l’Association française pour le droit de la construction et de l’immobilier (AFDCI) et qui s’est tenue ce 2 juin, la directrice des affaires juridiques du ministère de l’Economie (Mme Laure Bédier) a évoqué une saisine du conseil d’Etat pour avis afin qu’il puisse éclairer la portée de l’article R. 2194-5 du code de la commande publique et sa conciliation avec la théorie de l’imprévision. Affaire à suivre donc.
Parallèlement à cette circulaire n°6338-SG du 30 mars 2022, et toujours dans l’objectif de pallier ces difficultés, relevons que le décret n°2022-485 pris le 5 avril 2022 institue une aide pour les PME [1] du secteur des travaux publics particulièrement affectées par les conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine, correspondant à 0,125 % du CA annuel 2021 et plafonnée à 200 000 € au niveau de l’ensemble des sociétés lorsque la PME comporte des filiales.
La direction des affaires juridiques du ministère de l’économie a publié une nouvelle fiche technique sur les modalités de mise en œuvre des dispositions du règlement (UE) n° 2022/576 du Conseil du 8 avril 2022 pour les acheteurs et autorités concédantes.
Depuis le 9 avril 2022, il est interdit de passer un marché public ou une concession avec des opérateurs économiques établis en Russie, des opérateurs de nationalité russe, des opérateurs détenus majoritairement de manière directe ou indirecte par une entité établie en Russie, avec des opérateurs économiques agissant pour le compte de l’un d’eux, ainsi que de confier la sous-traitance de plus de 10 % du contrat à l’un de ces opérateurs économiques.
L’interdiction ne concerne que les marchés et concessions dont le montant est égal ou supérieur aux seuils européens.
Le règlement impose également de résilier tous les marchés et toutes les concessions passés avec ces entités et qui auraient été conclus avant le 9 avril 2022.
Les acheteurs et les autorités concédantes ont jusqu’au 10 octobre 2022 pour procéder à cette résiliation et ne pourra donner lieu à une indemnisation des cocontractants visés par les sanctions.
Quelques exceptions sectorielles à ces interdictions sont prévues : sécurités nucléaire, coopération intergouvernementale dans le domaine des programmes spatiaux, l’achat/importation/transport de gaz naturel et de pétrole, achat/importation/transport vers l’UE de charbon et d’autres combustibles fossiles solide jusqu’au 10 août 2022.
Ces exceptions devront préalablement avoir été autorisées, au cas par cas, par les services de la direction générale du Trésor et devront être invoquées par les acheteurs à l’adresse suivante : sanctions-russie@dgtresor.gouv.fr
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La location d’un bien du domaine privé consentie à des conditions favorables doit être justifiée par des contreparties suffisantes.
Conseil d’Etat du 28 sept. 2021, n° 431625
Les juges du Palais royal appliquent pour la première fois la décision « Commune de Fougerolles » relative aux cessions des personnes publiques, aux baux consentis sur le domaine privé.
A ce titre, et pour mémoire, la cession d’un bien par une collectivité publique à un prix inférieur à sa valeur ne saurait être regardée comme constituant une libéralité, lorsque la cession est justifiée par (1) des motifs d’intérêt général et (2) comporte des contreparties suffisantes. [2]
En l’espèce, un centre communal d’action sociale avait consenti à un masseur-kinésithérapeute un bail commercial avec des conditions extrêmement favorables par lesquelles le preneur occupait 111 m2 pour un loyer de 450€ par mois. De plus, il profitait d’une franchise pour les six premiers mois de location. Le défendeur en cassation invoquait la liberté contractuelle des personnes publiques tandis que le rapporteur public rappelait le principe selon lequel une personne publique ne peut consentir une libéralité (principe se rattachant au demeurant au principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques. [3]).
Le conseil d’Etat a suivi les conclusions du rapporteur public et a considéré que les conditions de location au cas d’espèce n’étaient pas justifiées par un motif d’intérêt général, dès lors notamment que la commune ne se situait pas dans une zone caractérisée par une offre insuffisante de soin.
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La méconnaissance du principe d’impartialité est un vice d’une particulière gravité entrainant l’annulation du contrat.
Conseil d’Etat du 25 novembre 2021, Collectivité de Corse, n°454466
Le juge du contrat, saisi dans le cadre d’un recours Tarn et Garonne [4], c’est-à-dire par un tiers au contrat ayant un intérêt lésé par la passation ou l’une de ses clauses, dispose du pouvoir d’annuler le contrat si celui-ci se trouve affecté d’un vice du consentement ou d’un vice d’une particulière gravité.
En l’espèce, se posait la question de savoir si la participation à la procédure d’un agent ayant occupé très récemment un emploi au sein de l’entreprise déclarée attributaire était constitutive d’une méconnaissance du principe d’impartialité et d’un vice d’une particulière gravité pouvant justifier l’annulation du contrat.
Reprenant sa jurisprudence Société Applicam [5], le conseil d’Etat rappelle que le principe d’impartialité s’impose au pouvoir adjudicateur et implique :
- d’une part « l’absence de situation de conflit d’intérêts [6] au cours de la procédure de sélection du titulaire du contrat » et ;
- d’autre part que « l’existence d’une situation de conflit d’intérêts au cours de la procédure d’attribution du marché est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d’entacher la validité du contrat ».
S’agissant de la preuve du conflit d’intérêts, le juge du contrat ajoute une présomption sur l’acheteur. En d’autres termes, lorsqu’il existe un doute sur la qualification du conflit d’intérêts, le candidat n’a pas à apporter la preuve de l’intention de l’acheteur de favoriser un candidat :
« sa participation à la procédure de sélection des candidatures et des offres pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance d’intérêts le liant à la société NXO France et par voie de conséquence sur l’impartialité de la procédure suivie par la collectivité », et ce, « […] sans relever une intention de sa part de favoriser un candidat »
Le juge du contrat ayant caractérisé en l’espèce une méconnaissance du principe d’impartialité, et donc un vice d’une particulière gravité, a prononcé l’annulation du contrat.
Concernant ensuite la question de l’indemnisation du préjudice du concurrent évincé à la suite d’une violation du principe d’impartialité, le juge administratif rappelle que, dès lors qu’il existe un lien de causalité entre la faute de l’acheteur et le préjudice du candidat en question, le juge administratif vérifie si ce dernier était dépourvu ou non de toute chance de remporter le contrat :
- S’il n’avait aucune chance de l’obtenir, il n’a droit à aucune indemnité. ;
- Dans le cas contraire, il peut être remboursé des frais exposés pour présenter son offre. ;
- S’il disposait d’une chance sérieuse de l’emporter, le candidat évincé peut faire valoir une indemnisation de son manque à gagner (ce qui inclut nécessairement les frais engagés pour la présentation de l’offre).
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Le juge du référé précontractuel doit annuler la procédure au stade de l’examen des offres en cas d’irrégularité commise par l’acheteur dans l’analyse des offres.
Conseil d’Etat du 2 mars 2022, n° 458019, Sté Formateurs de Bourbon
Saisi dans le cadre d’un référé-précontractuel, le juge dispose de la faculté d’annuler la procédure eu égard à la nature du vice entachant la procédure de passation d’un contrat [7].
En l’espèce, la direction régionale de Pôle emploi à la Réunion a écarté une offre en raison de son caractère anormalement bas.
Le juge du référé précontractuel a estimé que le prix n’était manifestement pas sous-évalué et de nature à compromettre l’exécution du marché, de sorte qu’il a prononcé :
- L’annulation de l’ensemble de la procédure et ;
- L’injonction au pouvoir adjudicateur, s’il entend la poursuivre, de la reprendre dans son intégralité.
Le conseil d’État censure cette ordonnance pour erreur de droit, en tant qu’elle a annulé la procédure à un stade antérieur à la phase de sélection des offres : « compte tenu du manquement […] relevé, il appartenait au juge des référés de n’annuler la procédure qu’à compter de l’examen des offres ».
Il est ainsi rappelé que le juge du référé précontractuel doit adapter la sanction qu’il prononce à la nature du manquement qu’il relève.[8]
[1] Article 3 du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique : les PME sont les entreprises ayant d’une part moins de 250 personnes et d’autre part un chiffre d’affaires annuel inférieur 50 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 43 millions d’euros.
[2] CE, Commune de Fougerolles 3 novembre 1998 n°169473 publié au Recueil Lebon.
[3] Cons. const., 17 décembre. 2010, n° 2010-67/86, et CE, 4 mai 2011, CCI de Nîmes, Uzès, Bagnols, n° 334280.
[4] CE, ass., 4 avril 2014, n° 358994, Lebon.
[5] CE, 14 octobre 2015, Société Applicam et région Nord Pas-de-Calais, n° 391105.
[6] L. 2141-10 du code de la commande publique « une situation de conflit d’intérêts toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché public ou est susceptible d’en influencer l’issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché public ».
[7] CE, 20 octobre 2006 Commune d’Andeville, n°289234.
[8] CE, 6 mai 2015, Synd. intercommunal pour les transports urbains de la région de Valenciennes n° 387544.