Droit public des affaires & Activités régulées (1)

Newsletter Droit public – Septembre 2020

Commande publique

Le décret n° 2020-893 du 22 juillet 2020 a modifié le seuil en-dessous duquel les acheteurs peuvent valablement conclure des marchés publics sans publicité ni mise en concurrence.

Ainsi, deux nouveaux seuils sont désormais applicables :

  • Pour les marchés de travaux: les acheteurs pourront conclure des contrats en gré à gré pour :
    • tout chantier dont le montant total est inférieur à 70 000 euros [1], ou
    • tous les lots d’un chantier dont le montant est inférieur à 70 000 euros, à condition que le montant cumulé de ces lots n’excède pas 20 % de la valeur totale estimée de tous les lots (conformément aux nouvelles dispositions de l’article 2123-1 2° b du code de la commande publique introduites lors de la codification de 2019).
      Le recours à cette procédure est limité dans le temps : les acheteurs ne pourront l’utiliser qu’avant le 31 juillet 2021.
  • Pour les marchés de fourniture de denrées alimentaires: des contrats (ou des lots) sans procédure ni mise en concurrence préalables pourront être conclus dès lors :
    • que leur montant total est inférieur à 100 000 euros [2], ou
    • que les lots ont un montant inférieur à 80 000 euros, à condition que le montant cumulé de ces lots n’excède pas 20 % de la valeur totale estimée de tous les lots.
      Ces nouvelles dispositions s’appliquent aux seuls produits livrés avant le 10 décembre 2020. Il faut noter que le décret fait référence à la date de livraison et non à la date de commande des denrées alimentaires. Les acheteurs devront donc être prudents pour les commandes passées peu avant le 10 décembre 2020.

En tout état de cause, le décret cherche à maintenir une certaine objectivité dans le choix du cocontractant en précisant, pour les deux types de marchés concernés, que :

« Les acheteurs veillent à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin ».

Cependant, aucune sanction n’est prévue.

L’article L. 551-10 du code de justice administrative ouvre le référé contractuel aux seules personnes « qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué ».

Sur cette question, le conseil d’Etat avait initialement considéré que le choix de l’offre d’un candidat irrégulièrement retenu est susceptible d’avoir lésé le candidat qui invoque ce manquement, à moins qu’il ne résulte de l’instruction que sa propre candidature devait être écartée ou que son offre était inappropriée, irrégulière ou inacceptable [3].

Dans sa décision Société Clean Building du 27 mai 2020, la haute juridiction administrative abandonne cette position et considère désormais que « la circonstance que l’offre du concurrent évincé, auteur du référé contractuel, soit irrégulière ne fait pas obstacle à ce qu’il puisse se prévaloir de l’irrégularité de l’offre de la société attributaire du contrat en litige » (cons. 8).

Ainsi le concurrent évincé – même ayant déposé une offre irrégulière – pourra saisir le juge du référé contractuel.

Dans sa décision société EGBTI du 24 juin 2019, le conseil d’Etat apporte des précisions sur l’interprétation de l’un des cas d’exclusion facultative des candidats à une procédure de marché public.

Pour rappel, il existe deux types de motifs d’exclusion en matière de commande publique : (i) les exclusions de plein droit et (ii) les exclusions laissées à l’appréciation de l’acheteur.

Dans cette dernière catégorie, l’article L. 2141-8 du code de la commande publique précise que :

« L’acheteur peut exclure de la procédure de passation d’un marché les personnes qui :
Soit ont entrepris d’influer indûment sur le processus décisionnel de l’acheteur ou d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation du marché, ou ont fourni des informations trompeuses susceptibles d’avoir une influence déterminante sur les décisions d’exclusion, de sélection ou d’attribution […] » [4].

Une interprétation stricte de cette disposition ne permettait d’exclure que le soumissionnaire qui aurait tenté d’influer le processus décisionnel de l’acheteur lors de la procédure de passation du marché en cause et non pas lorsqu’une telle tentative était intervenue à l’occasion d’une précédente procédure de passation.

C’est ce que défendait en l’espèce la société EGBTI qui contestait son exclusion d’une procédure de passation d’un marché public basée sur sa mise en examen « pour avoir entrepris d’influer indûment sur le processus décisionnel » de l’acheteur dans le cadre d’un précédent marché.

Le tribunal administratif de Marseille avait d’ailleurs lui aussi retenu cette interprétation stricte et, en conséquence, annulé la procédure de passation.

Le conseil d’Etat a cependant considéré que ces dispositions relatives à l’exclusion facultative d’un soumissionnaire devaient être interprétées de façon plus large et s’appliquer à tout soumissionnaire  « qui peut être regardée, au vu d’éléments précis et circonstanciés, comme ayant, dans le cadre de la procédure de passation en cause ou dans le cadre d’autres procédures récentes de la commande publique, entrepris d’influencer la prise de décision de l’acheteur » (cons. 2).

Cette décision, qui apporte une réponse intéressante, ouvre néanmoins plusieurs questions :

  • L’appréciation des éléments précis et circonstanciés pour établir le risque pesant sur la procédure de passation est délicate. Comme le rappelle le rapporteur public, les acheteurs bénéficient sur ce point d’une marge d’appréciation mais sans pour autant porter une atteinte excessive aux principes d’égalité et de libre accès à la commande publique ainsi qu’au principe de présomption d’innocence.
    La mise en examen de la société et l’ouverture d’une information judiciaire dans le cadre d’un précédent marché ont été considérés comme suffisants pour établir qu’il y avait un risque sérieux pour la procédure du présent marché. Il n’est pas sûr qu’en l’absence d’éléments d’ordre pénal une telle exclusion aurait-elle été envisageable.
  • L’extension de cette exclusion facultative s’applique-t-elle aussi aux manquements commis lors de procédures de passation précédentes lancées par d’autres acheteurs ? La question ne s’est pas posée en l’espèce car l’acheteur était, dans les deux cas, le département des Bouches-du-Rhône.
    La rédaction du considérant de principe pourrait permettre d’étendre cette exclusion facultative à tous les marchés publics antérieurs – y compris ceux passés par d’autres acheteurs.
    Cependant, cette solution pourrait se heurter à des obstacles pratiques, un acheteur n’ayant pas nécessairement connaissance des difficultés rencontrées par un autre acheteur avec un soumissionnaire.
  • Le conseil d’Etat évoque des tentatives d’influencer la prise de décision de l’acheteur « dans le cadre de procédure récente de la commande publique» sans préciser jusqu’à quand l’acheteur peut remonter.
    En l’espèce, la société avait tenté d’influer le processus décisionnel d’attribution des marchés publics passés entre 2013 et mai 2016 et a été exclue pour un marché public passé en 2018. Si l’on peut supposer que le conseil d’Etat se soit calqué sur le délai de prescription du délit de corruption active de 3 ans, ce n’est pas certain que ce soit le cas.

Le juge administratif apportera sans doute des précisions bienvenues à l’occasion de la mise en œuvre de cette nouvelle jurisprudence.

Energie

L’ordonnance n° 2020-891 du 22 juillet 2020 apporte quelques précisions sur la procédure applicable devant le CoRDiS sans entrainer de modification fondamentale :

  • Réaffirmation du caractère contradictoire de la procédure (articles 2, 4 et 14 de l’ordonnance),
  • Règles en cas de vacance ou d’empêchement de la présidence (article 2 de l’ordonnance complétant l’article L. 132-3 du code de l’énergie),
  • Instauration d’un quorum (article 4 de l’ordonnance créant un nouvel article L. 133-7 du code de l’énergie),
  • Interdiction totale de la présence du rapporteur lors du délibéré (article 4 de l’ordonnance créant un nouvel article L. 133-7 du code de l’énergie),
  • Application des règles de prescription extinctive du code civil aux demande de règlement des différends (article 5 de l’ordonnance complétant l’article L. 134-19 du code de l’énergie),
  • Possibilité pour le président de la CRE ou du CoRDiS de se pourvoir en cassation contre une décision de la CA de Paris annulant ou reformant une décision du CoRDiS (article 7 de l’ordonnance complétant l’article L. 134-24 du code de l’énergie), et
  • Précisions sur les modalités d’instruction de la procédure de sanction – notamment un élargissement des pouvoirs d’instruction du CoRDiS en matière de sanction (article 9 de l’ordonnance créant un article L. 134-25-1 du code de l’énergie).

Ces modifications sont applicables aux procédures de règlement des différends et de sanctions enregistrées au 24 juillet 2020 (article 18 de l’ordonnance).

  • Projet d’arrêté modifiant la date d’achèvement:  

Pour rappel, depuis 2017, les petites installations photovoltaïques (de moins de 100 kW) peuvent continuer d’être développées dans le cadre de l’obligation d’achat découlant des arrêtés tarifaires du 4 et 9 mai 2017 [5]. Ces installations bénéficient alors d’un contrat d’achat.

Les installations plus puissantes ne peuvent bénéficier que d’un contrat de complément de rémunération, à la condition d’avoir été sélectionnées dans le cadre d’appels d’offres de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE).

Pour bénéficier d’un contrat d’achat d’une durée pleine de 20 ans, les installations photovoltaïques développées en arrêtés tarifaires doivent être mises en service « dans un délai de dix-huit mois à compter de la date de demande complète de raccordement au réseau public par le producteur » [6].

En cas de retard, la durée du contrat d’achat était réduite du triple de la durée de dépassement.

Cependant, si une tardiveté est constatée dans la mise en service, il faut s’interroger sur son origine.

  • Ainsi, si elle est liée aux retards des travaux de raccordement, le producteur dispose alors d’un délai complémentaire de deux mois à compter de la fin de ces travaux de raccordement pour mettre en service son installation et bénéficier d’une durée de contrat d’achat de 20 ans.
  • En l’état actuel des arrêtés tarifaires en matière photovoltaïques, tout autre type de retard n’est pas pris en compte. Cependant, et comme l’explique le rapport associé au projet d’arrêté, « pour certains projets, les retards à la mise en service sont dus au gestionnaire de réseau ». Il peut s’agir, par exemple, de retards dans l’édition de la convention d’exploitation ou du contrat d’accès au réseau de distribution.

Le projet d’arrêté vise donc à prendre en compte ces autres retards pour ne pas pénaliser le producteur.

En application de la nouvelle rédaction des arrêtés tarifaires, les installations bénéficieront d’un contrat d’achat de 20 ans si elles sont achevées dans un délai de 18 mois à compter de la demande complète de raccordement.

Cette date d’achèvement, qui correspond à la date de délivrance de l’attestation Consuel, n’intervient qu’à la toute fin du processus de développement d’une installation photovoltaïque et permet de pallier – outre les retards liés au gestionnaire de réseaux – l’engorgement des organismes de certification pour la délivrance du Consuel.

Cette solution n’est pas nouvelle car elle permet de s’aligner aussi bien avec les arrêtés tarifaires des autres filières EnR qu’avec la rédaction des cahiers de charges des appels d’offres de la CRE pour les installations photovoltaïques de plus de 100 kW.

Actes administratifs

Le droit souple est défini comme « un ensemble d’instruments qui ne créent pas par eux-mêmes de droits et d’obligations » [7]. Les actes de droit souple ne présentent donc pas, par principe, de caractère normatif et ne font pas grief. C’est pourquoi, leur contestation par la voie du recours pour excès de pouvoir n’était pas ouverte.

Cependant, depuis plusieurs années, le conseil d’Etat ouvre le recours contre ces actes de « droit souple ». En 2016 notamment, avec sa jurisprudence Fairvesta [8], il renouvelé le cadre général du recours contre les actes de droit souple.

Cependant, le recours restait limité aux seuls actes (ii) des autorités de régulation (ii) formels (iii) présentant un caractère impératif pour certaines personnes.

La décision GISTI du 12 juin 2020 vient parachever ce mouvement et fixe les conditions de recevabilité du recours pour excès de pouvoir à l’encontre des actes de droit souple :

  • d’une part, les actes de droit souple pouvant faire l’objet d’un recours ne doivent plus émaner des seules autorités de régulation. Le conseil d’Etat évoque, dans son considérant de principe, les « documents […] émanant d’autorités publiques» consolidant un mouvement d’ouverture enclenché avec la décision d’Assemblée du 19 juillet 2019 [9].
  • d’autre part, la forme de l’acte n’est plus un critère d’identification. Un recours est désormais ouvert à l’encontre de tout document « matérialisé ou non». Le conseil d’Etat évoqué sur ce point une liste des formes que peuvent revêtir un acte de droit souple (circulaires, instructions, recommandation, etc [10]) sans que celle-ci puisse être considérée comme exhaustive [11].
  • enfin, à partir de maintenant « tous les documents de portée générale» peuvent faire l’objet d’un recours même s’ils ne produisent pas d’effet juridique direct et certain sur une (ou des) personne(s), ce qui inclut – outre les documents à caractère impératif – les lignes directrices qui jusque-là n’étaient pas susceptibles de recours.

 

[1] Article 1er du décret n° 2020-893.

[2] Article 2 du décret n° 2020-893.

[3] CE, 11 avril 2012, Syndicat Ody 1218 newline du Lloyd’s de Londres et Bureau européen d’assurance hospitalière (BEAH), n°s 354652 354709.

[4] Ancien article 48 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.

[5] Arrêté du 9 mai 2017 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations implantées sur bâtiment utilisant l’énergie solaire photovoltaïque, d’une puissance crête installée inférieure ou égale à 100 kilowatts telles que visées au 3° de l’article D. 314-15 du code de l’énergie et situées en métropole continentale et Arrêté du 4 mai 2017 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations implantées sur bâtiment utilisant l’énergie solaire photovoltaïque, d’une puissance crête installée inférieure ou égale à 100 kilowatts telles que visées au 3° de l’article D. 314-15 du code de l’énergie et situées en Corse, en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte et à La Réunion.

[6] Article 7 de l’arrêté du 9 mai 2017 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations implantées sur bâtiment utilisant l’énergie solaire photovoltaïque, d’une puissance crête installée inférieure ou égale à 100 kilowatts telles que visées au 3° de l’article D. 314-15 du code de l’énergie et situées en métropole continentale et Article 8 de l’arrêté du 4 mai 2017 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations implantées sur bâtiment utilisant l’énergie solaire photovoltaïque, d’une puissance crête installée inférieure ou égale à 100 kilowatts telles que visées au 3° de l’article D. 314-15 du code de l’énergie et situées en Corse, en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte et à La Réunion.

[7] Etude annuelle du Conseil d’Etat – Le Droit souple (2013).

[8] CE, ass., 21 mars 2016, Société Faivesta International GmbH, n° 368082.

[9] CE, ass., 19 juillet 2019, Mme LP…, n° 426389.

[10] En l’espèce, l’acte contesté était une note d’actualité publiée sur un site intranet.

[11] Grâce à l’usage du terme « notamment » par le conseil d’Etat (cons. 1).