Constitutionnalité du référé contractuel pour les contrats de la commande publique
A l’issue de l’audience du 22 septembre 2020, le conseil constitutionnel est appelé à se prononcer sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) [1] transmise par la cour de cassation sur les dispositions relatives au référé contractuel applicable aux contrats de droit privé relevant de la commande publique instauré par l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009.
À titre liminaire il faut rappeler que les contrats de la commande publique peuvent être de deux natures : ils sont administratifs dès lors qu’ils sont conclus par une personne publique [2], mais ils sont de droit privé si les parties contractantes sont des personnes morales de droit privé (notamment les entreprises de réseaux).
L’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 [3] a précisé les voies de recours ouvertes aux concurrents évincés à savoir (i) le référé précontractuel et (ii) le référé contractuel. C’est dans le cadre de ce dernier recours qu’une QPC a été transmise au conseil constitutionnel.
Celle-ci porte sur les dispositions relatives au référé contractuel ouvert aux concurrents évincés à l’encontre des contrats de droit privé relevant de la commande publique et notamment l’article 16 de l’ordonnance qui prévoit que :
« Est nul tout contrat conclu lorsque aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n’a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l’Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite.
Est également nul tout contrat conclu en méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique.
Le juge prononce de même la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l’article 4 ou à l’article 8 ci-dessus si, en outre, deux conditions sont réunies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur du droit d’exercer le recours prévu par les articles 2 et 5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d’une manière affectant les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat ».
Parmi les moyens invocables en référé contractuel et pouvant donner lieu à l’annulation du contrat, il y a celui du non-respect du délai exigé entre la décision d’attribution d’un contrat à un opérateur et la signature effective de celui-ci – appelé « délai de standstill ».
Or, ce délai n’existe que pour les contrats passés selon une procédure formalisée, aucun délai de ce type n’étant imposé par la législation européenne ou française pour les contrats passés selon une procédure adaptée (MAPA) [4].
Sur cette base, la société requérante conteste la constitutionnalité de cet article 16 sur deux points principaux, à savoir :
- l’atteinte au droit à un recours effectif estimant que l’absence de délai de standstill en MAPA priverait le candidat évincé de la possibilité d’exciper du moyen tiré de la violation de ce délai pour obtenir la nullité du contrat en référé contractuel. Le requérant, rappelant que le référé contractuel n’est déjà couronné de succès que dans les seuls « cas pathologiques» [5], considère que cette situation réduit encore l’effectivité de ce recours.
Les parties défenderesses ont reconnu que les moyens d’annulation étaient certes plus limités en MAPA qu’en procédure formalisée, mais que cela n’affectait pas pour autant la substance même du droit à un recours effectif.
- la méconnaissance du principe d’égalité par rapport aux candidats évincés d’un contrat administratif, considérant que ces derniers bénéficient quant à eux, en outre, d’un recours en annulation (le recours Tarn et Garonne créé par le conseil d’Etat) qui permet de pallier le caractère extrêmement restreint du référé contractuel.
Sur ce point, le représentant du Gouvernement a précisé qu’un recours en responsabilité pour faute, fondé sur l’article 1240 du code civil, restait ouvert au concurrent évincé d’un contrat de droit privé de la commande publique.
Néanmoins, compte-tenu de la différence de régime entre les deux types de recours, notamment liée à leurs conditions de recevabilité [6], on peut s’interroger sur l’égalité entre le concurrent évincé à un contrat administratif et celui évincé de la passation d’un contrat de droit privé.
La décision du conseil constitutionnel est attendue pour le 2 octobre…
[1] N° 2020-857 QPC du 8 juillet 2020.
[2] Article L. 6 du code de la commande publique.
[3] Chapitre Ier de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 pour les contrats administratifs et Chapitre II de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 pour les contrats de droit privé relevant de la commande publique.
[4] V. en ce sens CE, 19 janvier 2011, Grand Port Maritime du Havre, n° 343435 ; CE, 31 octobre 2017, Société MB Terrassements Bâtiments, n° 410772 (cons. 5).
[5] B. Dacosta sous CE, 4 avril 2014, Tarn et Garonne, n° 358994.
[6] Le recours Tarn et Garonne doit être introduit dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement et le recours en nullité fondée sur l’article 1240 du code civil n’est soumis qu’au délai de prescription de droit commun de 5 ans.