Les juridictions nationales luxembourgeoises et belges ont ensuite saisi la Cour de justice de l’Union européenne (la « CJUE ») de questions préjudicielles dans le cadre de procédures distinctes qui ont été jointes car portant sur des questions identiques.
C’est dans ce contexte que, dans un arrêt rendu le 22 décembre dernier, la CJUE, réunie en grande chambre, est venue préciser les circonstances dans lesquelles l’exploitant d’une plateforme de vente en ligne peut être tenu responsable directement pour l’usage d’un signe contrefaisant dans une offre de vente émanant d’un vendeur tiers.
On sait, depuis un arrêt rendu par la Cour le 12 juillet 2011 impliquant Ebay (CJUE, aff. C-324/09, L’Oréal c/ Ebay), que l’exploitant d’une place de marché en ligne doit faire l’usage d’un signe contrefaisant « dans le cadre de sa propre communication commerciale » pour voir sa responsabilité engagée du fait de l’usage de ce signe.
On sait également, depuis un arrêt rendu par la CJUE le 2 avril 2020 qui impliquait Amazon (CJUE, aff. C-567/18, Coty c/ Amazon), que l’exploitant d’une place de marché en ligne doit, pour être tenu responsable d’actes de contrefaçon, avoir connaissance du caractère contrefaisant des produits qu’il stocke pour des vendeurs tiers actifs sur sa place de marché.
Dans la présente affaire opposant Louboutin à Amazon, la CJUE est venue mettre l’accent sur la perception des utilisateurs. Dès lors qu’un utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif établit un lien entre les services de l’exploitant de la place de marché en ligne et un signe contrefaisant, ce qui est notamment le cas lorsqu’il a l’impression que les produits contrefaisants sont commercialisés par l’exploitant lui-même et non pas par le vendeur tiers, alors l’exploitant peut être considéré comme faisant lui-même usage du signe contrefaisant et voir sa responsabilité engagée.
L’arrêt de la CJUE est circonscrit au cas de figure où l’exploitant présente un modèle commercial de type hybride, c’est-à-dire qu’il propose à la fois ses propres produits à la vente, en son nom et pour son propre compte, en plus de ceux émanant de vendeurs tiers, ce qui est le cas d’Amazon.
Dans un tel cas de figure, les utilisateurs seront notamment susceptibles de créer un lien entre les services de l’exploitant et les signes figurant dans les annonces de vendeurs tiers, lorsque l’exploitant recourt à un mode présentation uniforme des offres à la vente, en affichant ses propres annonces et celles des vendeurs tiers en même temps et sans distinction particulière, ainsi qu’en faisant apparaître son propre logo sur l’ensemble des annonces.
Sont aussi pertinents à cet égard, la nature et l’ampleur des services fournis par l’exploitant du site intégrant la place de marché en ligne aux vendeurs tiers, tels que par exemple, le traitement des questions des utilisateurs relatives aux produits contrefaisants, le stockage, l’expédition et la gestion des retours desdits produits, qui peuvent également donner l’impression aux utilisateurs que les produits concernés sont commercialisés par l’exploitant lui-même et non pas par un vendeur tiers.
Dans ces circonstances, l’utilisation du ou des signes contrefaisants apparaît, aux yeux des utilisateurs, comme faisant partie intégrante de la communication commerciale de l’exploitant de la place de marché en ligne et sa responsabilité peut donc être engagée.
Cet arrêt de la CJUE apparaît comme une victoire des titulaires de droits sur les sociétés qui exploitent des sites internet intégrant des places de marché en ligne.
Ces dernières devront désormais présenter leurs annonces de façon beaucoup plus transparente, en distinguant clairement leurs propres annonces de celles des vendeurs tiers.
S’agissant d’une décision rendue dans le cadre d’une procédure de renvoi préjudiciel, il appartiendra encore aux juridictions nationales, luxembourgeoises et belges de résoudre l’affaire conformément à la décision de la Cour.
Affaire à suivre donc.