Les phantom stocks, un instrument flexible d’incitation des salariés encore méconnu en France – Option Droit & Affaires du 10 mars 2021
Tribune de Lionel Lesur, associé, et Laura Isabelle Danet, collaboratrice, de notre équipe Corporate – Fusions & Acquisitions publiée dans Option Droit & Affaires n° 529 du 10 mars 2021.
Alternative originale aux instruments classiques d’incitation à long terme des salariés, les phantom stocks (ou actions fantômes) ne sont encore que peu utilisées en France. Or, porté par sa flexibilité, cet outil, qui permet de récompenser et d’encourager la performance des salariés tout en se prémunissant contre la dilution du capital, pourrait être davantage utilisé.
Une dénomination en trompe l’œil pour une alternative novatrice
Reposant sur une logique avant tout financière de la gestion des ressources humaines, les instruments d’incitation à long terme des salariés (« LTI » pour Long Term Incentives) existant en droit français (stock-options, actions gratuites ou encore BSPCE) répondent au double objectif de renforcement de la valeur des sociétés et de mobilisation de la performance des collaborateurs clés en vue de l’optimiser durablement et de minimiser tout risque de départ.
En contrepartie, la mise en place de ces instruments suppose, en règle générale, d’accorder aux bénéficiaires un accès au capital, immédiat ou à terme, ancrant et renforçant leur engagement, faisant donc converger tous les intérêts en présence.
Disposant, immédiatement ou à terme, des attributs de l’actionnaire minoritaire, les bénéficiaires entrent ainsi dans un cercle présumé vertueux (marqué par une productivité accrue et un comportement pro-actionnarial aligné avec un objectif de création de valeur et d’amélioration de rentabilité économique de la société).
Mécaniquement, l’entrée au capital des bénéficiaires entraînera une dilution du capital contraignante pour les actionnaires existants. L’analyse coût-bénéfice (ici, dilution du contrôle contre relution de la valeur et engagement durable des bénéficiaires) pourra conduire certains actionnaires, quelle que soit la maturité de la société, à s’opposer à la mise en place d’un plan de LTI « classique » afin de protéger leur détention du capital.
Or, le mécanisme des phantom stocks se distingue des autres instruments de LTI « classiques » en ce qu’elles ne permettent pas aux bénéficiaires d’accéder au capital.
Leur caractéristique principale réside dans le fait que, si elles permettent aux bénéficiaires d’obtenir une rémunération reflétant, le cas échéant, l’augmentation de la valeur de l’action de la société émettrice (ou de sa performance financière selon le(s) agrégat(s) ou multiples choisis), répliquant virtuellement un mécanisme d’actionnariat, aucune action ne sera jamais émise. Ainsi, les bénéficiaires des phantom stocks, par principe incessibles, ne jouissent d’aucun droit politique, ni droit à dividende [1].
Cet instrument, d’origine anglo-saxonne, reste aujourd’hui massivement utilisé en Amérique du Nord et au Royaume-Uni. Il constitue, en effet, une alternative pertinente, notamment aux stock-options, mais aussi aux actions gratuites, dès que le capital est indisponible ou que le régime de faveur fiscal ou social afférent d’un pays (tel la France) ne présente qu’un intérêt limité.
Les phantom stocks sont également présentes en Europe (surtout du Nord et de l’Est) où des PMEs mais aussi des groupes multinationaux y ont régulièrement recours, leur permettant d’élaborer un unique plan de LTI applicable, décliné à l’identique dans les différents pays où ils sont installés.
Un instrument atypique au service de tous les intérêts en présence
La mise en place, au sein d’une société ou d’un groupe, d’un plan de phantom stocks s’explique, à l’identique des plans de LTI « classiques », par la volonté des dirigeants de retenir ou d’attirer durablement des collaborateurs essentiels ou à fort potentiel mais en supprimant le risque de dilution du capital et du partage de l’information confidentielle en résultant, aspect souvent primordial pour les groupes familiaux.
Cette particularité constitue souvent une des principales raisons pour laquelle la société optera pour cet instrument. Egalement outil de communication au service de la RH, les phantom stocks n’exigent, en théorie, aucun investissement financier des bénéficiaires, sauf lorsque la société souhaite privilégier un mécanisme de co-investissement.
En dépit de ces qualités indéniables, deux difficultés expliquent sans doute l’intérêt limité suscité jusqu’ici par les phantom stocks en France.
D’une part, leur régime fiscal et social peut s’avérer, de prime abord, problématique. En effet, les sommes versées aux bénéficiaires sont assimilées à des bonus, comme le souligne la Cour d’appel de Paris [2], qui les qualifie, logiquement, « par nature, de compléments de salaire » et, partant, soumises au régime fiscal et social des traitements et salaires, tant pour la société, pour lesquelles elles constituent donc cependant des charges déductibles, que pour les bénéficiaires (pouvant inclure en pratique, avec quelques précautions, des mandataires sociaux).
D’autre part, se pose la question, comme dans les plans de LTI « classiques », des outils de valorisation de la société sur laquelle sera indexée la valeur des phantom stocks et, le cas échéant, les versements en résultant. Si lorsque la société est cotée, le cours de bourse est usuellement retenu, la question se révèle plus ardue pour les sociétés non cotées où la valeur des phantom stocks devra être le fruit d’une valorisation, parfois complexe. Dans ce cas, le conseil juridique de l’émetteur coordonnera utilement l’intervention nécessaire des conseils financiers en rémunération et en valorisation avec l’action des décideurs et organes sociaux compétents pour faciliter l’élaboration et la mise en œuvre du plan.
Si pour les bénéficiaires, le rendement net des phantom stocks peut, a priori, être inférieur à celui généré par les instruments de LTI plus « classiques », une étude approfondie de tous les intérêts et aspects en présence (dont droit à la retraite) peut révéler un rendement supérieur des phantom stocks. En outre, aucun titre donnant accès au capital n’est attribué aux bénéficiaires, qui ne courent donc aucun risque de liquidité. Enfin, ni les bénéficiaires ni la société ne sont exposés à un risque fiscal ou social lié à un éventuel redressement résultant d’une requalification par l’administration des sommes versées au titre des phantom stocks.
L’arbitrage, toujours délicat pour la société, entre les différents instruments de LTI s’effectue, en pratique, en mettant en balance la praticité de l’instrument, sa flexibilité (notamment pour les groupes multinationaux), l’identité, le(s) pays de résidence fiscale des bénéficiaires, son régime fiscal et social et le risque induit, ainsi que la création de valeur en résultant.
Un outil caractérisé par sa grande flexibilité
En dépit de ces obstacles parfois uniquement théoriques, les phantom stocks se révèlent d’une grande utilité pratique. Une société ou, a fortiori, un groupe international prévoyant des bénéficiaires résidents fiscaux dans plusieurs pays peut juger préférable de mettre en place des phantom stocks, prima facie potentiellement moins rentables, mais plus protectrices de l’intégrité du capital social et, surtout, plus flexibles.
En France, les phantom stocks ne font l’objet d’aucun encadrement dédié législatif ou réglementaire. Le concept est simplement évoqué aux termes d’une loi qui ne reconnaît pas les phantom stocks mais permet aux sociétés de mettre en oeuvre des plans fondés sur un principe similaire [3].
La conception et le calibrage du plan reposent intégralement sur la société chargée de déterminer précautionneusement un certain nombre d’éléments, dont le nombre d’actions de référence, l’assiette (le montant de la somme versée pourra être, adossé sur, notamment l’EBIT ou l’EBITDA et/ou sur la rentabilité de la société), la date d’échéance, d’éventuels paliers prévoyant un versement en cas d’atteinte d’une valeur identifiée à une certaine échéance, le vesting en cas de départ ou décès du bénéficiaire ou de survenance de certains évènements (tels que le changement de contrôle ou la cotation en bourse de la société), ou encore les plafonds visant à se prémunir contre une éventuelle hausse exponentielle de la valeur.
La force des phantom stocks réside dans leur caractère protéiforme et modulable (notamment dans le temps, dans certaines conditions). Leur mise en place résulte d’un simple engagement contractuel sur-mesure, marqué d’intuitu personae, qui sera régi donc uniquement par la liberté contractuelle.
Aucune raison structurelle ne saurait, dès lors, entraver le développement des phantom stocks en France en dehors des sociétés cotées qui, depuis quelques années, ont davantage recours au mécanisme des phantom stocks, identifiées, dans le code AFEP-MEDEF, par le terme de « variables pluri-annuels ».
La crise que nous traversons, dans un contexte toujours plus mondialisé, devrait inciter les sociétés ou groupes de sociétés, qui craignent notamment de se départir d’une fraction du capital, à optimiser leur valeur en fidélisant leurs collaborateurs clés par un biais flexible leur permettant de libérer enfin tout leur potentiel latent.
[1] « Les actions fantômes », Revue de droit bancaire et financier n° 3, mai 2017, ét.10, Ph. Thomas.
[2] CA Paris, 12 décembre 2013, n° 11/12986.
[3] Loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006.