Procédures collectives : quand le sauvetage de l’entreprise est (aussi) celui de son dirigeant – Option Droit & Affaires du 23 septembre 2020
Tribune de Numa Rengot, associé, et Jean Dizabeau de notre équipe Restructuring – Entreprises en difficulté – Distressed M&A publiée dans Option Droit & Affaires n° 507 du 23 septembre 2020.
La crise du Covid-19 a mis en lumière les difficultés structurelles de certains secteurs économiques du retail. Le dynamisme des procédures amiables est parfois trop tardif et les plans de redressement insuffisants. Seul un plan de cession permet de sauver l’activité. Quand l’initiative de ce dernier émane du dirigeant en place, les critiques fusent. Toutefois on peut constater que le sauvetage de l’entreprise par son dirigeant séduit de plus en plus, et mérite réflexion.
Le droit des procédures collectives a évolué avec son temps. Néanmoins, le droit positif du livre VI du Code de commerce suggère toujours l’idée que le véritable responsable de la défaillance d’une entreprise est son dirigeant. Ainsi, l’article L. 642-3 du Code de commerce interdit au dirigeant de droit (et de fait) d’une société en procédure collective de présenter une offre de reprise de tout ou partie des actifs de sa société. Par ailleurs, il est fait interdiction à ce dirigeant d’acquérir, dans les cinq années suivant la cession, tout ou partie des biens compris dans cette cession. La crise sanitaire a remis en cause ces principes.
De l’interdiction légale à la tolérance actuelle
La cession judiciaire obéit classiquement à une triple finalité : le maintien d’activités susceptibles d’exploitation autonome, la préservation de l’emploi et l’apurement du passif. C’est ce qui motive et doit motiver d’une part le législateur et d’autre part, les praticiens du retournement d’entreprise pour apprécier le bien fondé d’un plan de cession. Force est de constater cependant la rigidité disproportionnée du droit positif en ce qui concerne la présentation d’une offre de reprise par l’un de ses dirigeants.
La prohibition faite au dirigeant d’entreprise de présenter une offre de reprise est corrélée à l’idée que celui-ci a une responsabilité dans les défaillances auxquelles la procédure collective répond. Toutefois, ce lien de causalité n’est pas toujours établi. La responsabilité est rarement totale et ne doit pas mécaniquement exclure toute reprise.
La preuve en est que le tribunal peut toujours déroger aux interdictions de déposer une offre, sur requête du ministère public et par un jugement spécialement motivé. Par ailleurs, la rigidité de l’interdiction ne s’applique pas à l’ancien dirigeant d’une entreprise. Ainsi, l’ancien dirigeant de droit de la société peut présenter une offre de reprise, sauf en cas de fraude ou s’il est demeuré dirigeant de fait de la société.[1]
L’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de Covid-19 a prévu en son article 7, une dérogation à l’interdiction faite au dirigeant de présenter une offre de reprise.
Si cette disposition est applicable aux procédures en cours jusqu’au 31 décembre 2020, elle aura mécaniquement des effets au-delà de cette période et encourage, peut être à repenser l’interdiction actuelle.
Vers un véritable droit au rebond du dirigeant
Le droit européen et la directive « restructuration et insolvabilité » reconnaissent l’existence d’un rebond de l’entrepreneur. Ainsi : « il est prouvé que les entrepreneurs qui sont devenus insolvables ont plus de chances de réussir la fois suivante »[2]. Dans cette optique, il est nécessaire que les entrepreneurs puissent rebondir facilement en permettant à leur entreprise d’être redressée rapidement et ce, de manière non stigmatisante.
La dynamique du rebond trouve également des assises dans notre droit national. Ainsi, le chapitre 1er du projet de loi PACTE visait à « lever les freins et assouplir les rigidités qui entravent la vie des entreprises et des entrepreneurs ». La philosophie est désormais d’autoriser l’échec pour mieux rebondir.
Le droit au rebond du dirigeant est un principe du droit des affaires qui offre une seconde chance. Par ailleurs, le droit au rebond ne trouve-t-il pas une déclinaison spécifique dans le droit à l’oubli ? Parce qu’il n’est pas toujours un dirigeant de mauvaise foi, ce dernier peut revendiquer un « droit à être oublié » et le droit de bénéficier d’un rebond. La cession d’une entreprise permet d’oublier les difficultés passées et de construire sur un socle épuré de tout passif.
Les justifications de l’existence d’un principe de droit au rebond prêchent en faveur de la possibilité offerte au dirigeant d’une société en faillite de présenter une offre.
Cette possibilité pour le dirigeant de présenter une offre de reprise s’est illustrée récemment avec la reprise d’Alinéa par l’actuel PDG de la société. Rappelons toutefois que dans ce dossier l’actuel PDG ayant soutenu une offre de reprise détient 15% du capital et sa famille en possède les 85% restant.
La double casquette de dirigeant et d’actionnaire a également permis de créer des passerelles sur le volet social, entre les entreprises dont la famille de l’actuel PDG est actionnaire (Auchan, Leroy-Merlin, Décathlon). Certains postes en péril étant amenés à être proposés dans plusieurs enseignes du groupe.
L’appréciation fondamentale de l’opportunité du plan
La reprise d’Orchestra-Prémamann par son fondateur ayant été favorisée grâce à ses atouts financiers et sociaux est une autre illustration du choix que les tribunaux ont pu faire du droit au rebond. La souplesse de la jurisprudence apparait comme une réponse aux difficultés de ce secteur si affaibli par la crise sanitaire qu’est le retail.
Rien n’indique que l’acceptation par les tribunaux d’une reprise d’une société à la barre par son dirigeant soit toujours favorable à l’offre déposée par celui-ci. Le jugement du 17 août 2020 rendu par le Tribunal de Commerce de Lille l’a prouvé en rejetant l’offre portée par le dirigeant de la société Camaïeu.
Dans cette affaire, le dirigeant de la société ne semblait plus avoir le soutien de ses employés, ce que le tribunal a expliqué en considérant que « nulle reprise ne peut réussir sans le soutien des équipes et des salariés ». Le tribunal poursuit en constatant que « même si les fautes antérieures ne peuvent leur être reprochées, l’équipe dirigeante n’a pas su ou pas pu acquérir et conserver la confiance du personnel ».
La confiance des salariés envers l’équipe dirigeante est donc un élément clé de la présentation d’une offre de reprise que ces derniers souhaitent soumettre. L’offre d’un dirigeant en place n’est donc pas une offre juridiquement prioritaire à une offre concurrente. Elle présente des avantages liés à la connaissance du terrain et de l’activité économique propre au secteur en cause par ceux qui la défendent mais ces avantages peuvent se retourner et inciter le tribunal à rejeter la viabilité d’un projet de reprise.
Il faut garder à l’esprit qu’aux termes de l’article L. 631-19-1 du Code de commerce, lorsque le redressement de l’entreprise le requiert, le tribunal, sur la demande du Ministère public, peut subordonner l’adoption du plan au remplacement d’un ou plusieurs dirigeants en place dans l’entreprise. Le droit des procédures collectives demeure également le droit des sanctions des dirigeants négligents et des interdictions de gérer régulièrement prononcées.
Un comité de direction pleinement responsable des difficultés rencontrées par une entreprise aurait tout de même peu de chances de se retrouver au commande d’une société en procédure collective bénéficiant d’un plan de cession sur les actifs et l’activité qui la composent.
Le rebond du dirigeant est en l’état actuel des choses possible par la voie d’un plan de cession. Reste à savoir si le législateur en fera une règle et non plus une tolérance passagère. Quoi qu’il en soit, la gravité des conséquences économiques de la crise sanitaire et l’affaiblissement de certains secteurs du retail méritent de réfléchir à un renouveau juridique souple des offres de reprise d’une entreprise, par ceux qui la font vivre.
[1] Cass. Com. 23 septembre 2014, n° 13-19.713 : RJDA 12/14 n° 920.
[2] Dir. 2019/1023/UE, cons. 72.