Bien que la situation sanitaire semble aujourd’hui maîtrisée et que la reprise économique soit encourageante, l’état du tissu industriel français reste fragile, notamment en raison d’une sous-capitalisation latente des entreprises qui ont perdu plus de 100 milliards d’euros durant la pandémie et de l’arrêt progressif des aides exceptionnelles mises en place par l’Etat. Le « quoiqu’il en coûte » a entrainé une chute de 40% des défaillances d’entreprises en 2020. Mais un effet de rattrapage à la suite de l’arrêt progressif de ces aides suscite des inquiétudes, à plus forte raison qu’entre 20 000 et 25 000 entreprises seraient actuellement maintenues en vie grâce à ces mesures [1].
Toutefois, si cette crise a mis en lumière les failles du droit des entreprises en difficulté pour traiter les défaillances, elle a également révélé l’importance stratégique de cette matière pour amortir le choc d’une récession économique.
Après avoir pris des mesures d’exception jusqu’à maintenant, le gouvernement vient de transposer la Directive Restructuration et Insolvabilité du Parlement européen et du Conseil n°2019-1193 du 20 juin 2019 (Directive « relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes ») par l’ordonnance n°2021-1193 du 15 septembre dernier. Complétée par un décret d’application promulgué le 24 septembre, l’ordonnance du 15 septembre s’applique aux procédures ouvertes à compter du 1er octobre 2021. Le législateur a également saisi l’opportunité de cette transposition pour pérenniser des mesures prises dans le cadre de l’ordonnance n°2020-596 dite « Covid » du 20 mai 2020. L’ordonnance du 15 septembre réformant le livre VI du Code de commerce a ainsi pour but d’améliorer l’efficacité des procédures en matière de restructuration. Elle n’apporte cependant pas de grands bouleversements au droit des entreprises en difficulté, le législateur n’ayant pas trouvé nécessaire « de remettre en cause son architecture générale, mais plutôt de garantir la lisibilité du droit » [2]. A noter que cette réforme voulue par la Directive du 20 juin 2019 qui constitue la première tentative d’harmonisation au sein de l’Union Européenne des droits nationaux de l’insolvabilité fait entrer dans le droit français des notions issues du droit anglo-saxon.
Les principaux apports de cette réforme sont les suivants :
- Le remplacement des comités de créanciers par des classes de parties affectées
- L’application forcée interclasses qui permet à des classes de créanciers d’imposer un plan de redressement ou de sauvegarde à d’autres classes de créanciers
- La promotion de la prévention pour détecter toujours plus en amont les difficultés des entreprises
- Le renforcement de la conciliation pour freiner les ardeurs des créanciers réfractaires et pour renforcer la sécurité juridique de l’accord de conciliation
- La réduction de la période d’observation dans la procédure de sauvegarde qui se distingue un peu plus du redressement judiciaire
- La limitation de la progressivité des annuités de remboursement des créanciers dans un plan de sauvegarde ou de redressement pour mettre fin aux abus du passé
- Dans le cadre d’une sauvegarde ou d’un redressement judiciaire, la possibilité au tribunal d’imposer aux actionnaires une modification forcée du capital social de leur entreprise
- La confirmation de la règle selon laquelle le silence des créanciers vaut acceptation en cas de modification du plan de sauvegarde ou de redressement
- La suppression de la sauvegarde financière accélérée (SFA) créée en 2010
- La consécration de la sauvegarde accélérée créée en 2014 qui devient le cadre de la restructuration préventive au sens de la Directive du 20 juin 2019
- Pour favoriser le financement des entreprises en difficulté, la confirmation du privilège de « post money» dans une procédure collective à l’image du privilège de « new money » déjà applicable en conciliation depuis 2006
- Un plus large accès des entrepreneurs individuels aux procédures de liquidation judiciaire simplifiée et de rétablissement professionnel pour favoriser leur rebond et la seconde chance
- Une meilleure articulation entre le droit des procédures collectives et le droit des sûretés dans l’intérêt des créanciers privilégiés mais aussi des tiers garants et du débiteur lui-même
Cette réforme sera expliquée plus en détail à l’occasion de plusieurs chroniques thématiques que nous publierons régulièrement.
En voici déjà une rapide présentation.
L’instauration de classes de créanciers est l’innovation majeure de l’ordonnance. En effet, cette dernière substitue aux traditionnels comités de créanciers les « classes de parties affectées », visant les créanciers dont les droits sont directement affectés par le projet de plan. La constitution des classes de parties affectées sera obligatoire dès lors que la société dépassera 250 salariés et 20 millions d’Euros de chiffre d’affaires ou dépassera simplement 40 millions d’Euros de chiffre d’affaires. Indépendamment de ces seuils, les classes seront obligatoires lors d’une procédure de sauvegarde accélérée. La répartition des créanciers dans ces classes est laissée à l’appréciation de l’administrateur judiciaire qui doit notamment utiliser la notion de «communauté d’intérêt économique» pour répartir ces derniers. Finalement, il semble que le critère de regroupement des créanciers en une même classe ne soit plus la qualité du créancier (banques, fournisseurs ou obligataires), mais la qualité de la créance par exemple privilégiée ou seulement chirographaire.
Pour préserver l’intérêt des créanciers, le plan de redressement ou de sauvegarde proposé par le débiteur sera adopté à condition de recueillir un vote favorable de la majorité des classes, le plan pouvant ainsi être imposé par le Tribunal aux classes dissidentes. L’application forcée interclasses du plan consacre ainsi le « cross-class cram-down ». Néanmoins, cette solution est encadrée par plusieurs mécanismes. En effet, le Tribunal doit préalablement vérifier que l’application forcée du plan ne dégrade pas davantage la situation du créancier l’ayant refusé par rapport à la situation qui serait la sienne dans un cadre liquidatif (liquidation judiciaire ou plan de cession). Ce premier garde-fou correspond au « best interest of creditor test ». Par ailleurs, au moins une classe de créanciers privilégiés doit avoir accepté le plan. Une règle dite de priorité absolue – « absolute priority rule » – est également imposée. Selon celle-ci, une classe de créanciers de rang supérieur qui a voté contre le plan doit être intégralement désintéressée par des moyens identiques ou équivalents pour qu’une classe de rang inférieur puisse avoir droit à un paiement ou conserver un intéressement.
Compte tenu des seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires nécessaires, l’instauration des classes de parties affectées sera réservée aux grandes entreprises et ne concernera qu’une minorité de procédures.
Le législateur a néanmoins instauré d’autres mesures applicables à un spectre d’entreprises plus large, visant à améliorer l’attractivité et l’efficacité des procédures amiables et collectives.
Tout d’abord, par le biais de deux mesures utiles, mais encore insuffisantes, l’ordonnance tend à perfectionner la prévention des difficultés. En effet, la première permet de renforcer le pouvoir du président du Tribunal, ce dernier pouvant désormais déclencher une phase d’enquête dès la convocation du dirigeant sans besoin d’attendre le terme de l’entretien. La seconde mesure a pour but d’accélérer la procédure d’alerte en pérennisant l’article 1 de l’ordonnance du 20 mai 2020 permettant au commissaire aux comptes d’alerter le président du Tribunal des difficultés du débiteur, lorsque le dirigeant refuse de prendre les mesures nécessaires.
Afin de rendre la procédure de conciliation plus attractive, le législateur a également maintenu la possibilité pour le Tribunal, à la demande du débiteur, de suspendre l’exigibilité de la créance ainsi que les poursuites individuelles que le créancier engagerait.
Par ailleurs, dans l’intention de favoriser la célérité des procédures, le législateur a souhaité réduire la période d’observation d’une procédure de sauvegarde, ne pouvant plus excéder 12 mois contre 18 auparavant. Le jugement ouvre une période d’observation de 6 mois, qui peut désormais être renouvelée seulement une fois pour 6 mois sur décision spécialement motivée. Suivant ce même objectif, l’ordonnance introduit la possibilité d’accélérer le déroulement de la période d’observation et l’examen du plan lorsque les engagements pour le règlement du passif sont établis sur la base d’une attestation de l’expert-comptable ou du commissaire au compte, sans attendre la fin de la procédure de vérification des créances.
En parallèle, l’ordonnance supprime les dispositions propres à la sauvegarde financière accélérée et modifie les dispositions relatives à la procédure de sauvegarde accélérée. Cette dernière aura désormais une durée de 2 mois, prorogeable dans la limite d’une durée totale maximale de 4 mois, ne produisant d’effets qu’à l‘égard des parties affectées par le projet de plan. Le législateur pérennise en outre la mesure issue de l’ordonnance du 20 mai 2020 supprimant les seuils d’ouverture d’une procédure de sauvegarde accélérée.
Conjointement à la volonté du législateur d’améliorer l’attractivité et l’efficacité des procédures amiables et collectives, celui-ci souhaite également encourager la recapitalisation des sociétés défaillantes afin de favoriser leur rebond.
Ainsi, l’ordonnance entérine le privilège de « post-money », initialement mis en place par les dispositions Covid de mai 2020. En effet, un privilège sera accordé au bénéfice des créanciers ayant consenti un nouvel apport de trésorerie pendant la période d’observation d’une procédure collective en vue d’assurer le maintien de l’activité du débiteur. Ces créances de « post money » seront ainsi réglées juste après les créances de salaires dans l’ordre établi par l’article L. 622-17 du Code de commerce.
Enfin, l’ordonnance confirme le souhait du législateur, par ailleurs évoqué par la mission commune relative aux entreprises du fait de la crise sanitaire de l’Assemblée nationale du 21 juillet dernier présidée par le député des Pyrénées-Orientales Romain Grau, de favoriser le rebond du dirigeant à la suite d’une procédure collective.
En premier lieu, le législateur maintien des mesures, jugées positives et issues de l’ordonnance du 20 mai 2020. La procédure de liquidation judiciaire simplifiée est désormais ouverte à tous les entrepreneurs individuels, sous la seule condition de l’absence d’un bien immobilier. En outre, concernant la procédure de rétablissement professionnel sans liquidation, la valeur de la résidence principale est écartée pour déterminer l’actif du débiteur personne physique et le plafond de valeur d’actifs détenus passe de 5.000 à 15.000 € pour favoriser l’accès à cette procédure.
Si cette ordonnance ne transforme pas en profondeur le droit français des entreprises en difficulté, elle s’inscrit dans un contexte économique particulier avec l’émergence d’une crise mondiale d’un nouveau genre, celle de la difficulté d’approvisionnement, qui peut s’avérer désastreuse pour certains secteurs d’activité. Le tsunami de faillites d’entreprises prophétisé n’est pas survenu mais reste donc redouté par les pouvoirs publics. Cette réforme vise ainsi à protéger les entreprises fragiles en renforçant l’attractivité et l’efficience des procédures françaises de traitement des difficultés, tout en réorganisant l’équilibre des pouvoirs entre le débiteur, ses actionnaires et ses créanciers et en favorisant le rebond et la seconde chance.
[1] Rapport d’information de l’Assemblée nationale par la mission d’information commune relative aux entreprises en difficulté du fait de la crise sanitaire, 21 juillet 2021
[2] Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance 2021-1193